• Pour Bernard Stiegler, au cours des vingt prochaines années, la vague de l’automatisation va déferler et peu à peu détruire l’emploi. (loc. 56-57)
  • L’emploi est ce qui est sanctionné par un salaire tel que, depuis Ford, Roosevelt et Keynes notamment, il permet de redistribuer du pouvoir d’achat. Le travail, c’est ce par quoi on cultive un savoir, quel qu’il soit, en accomplissant quelque chose. (loc. 347-349)
  • Je n’ai jamais étudié aucune de ces techniques managériales de motivation qui servent en réalité à dissimuler par des artefacts le caractère profondément ennuyeux et souvent infantilisant d’un emploi qui n’a plus rien à voir avec le travail. (loc. 392-393)
  • Le travail est l’expression d’un savoir. (loc. 439-440)
  • Bill Gates a déclaré que dans les vingt ans, d’ici à ce que l’automatisation de nos sociétés prenne toute son ampleur, l’emploi sera devenu marginal. (loc. 530-531)
  • L’emploi a donc progressivement fait disparaître le travail, depuis un siècle et demi, avec les différentes étapes de la prolétarisation des travailleurs, puis des consommateurs, et maintenant, cet emploi est lui-même en train de disparaître, suite à la généralisation de l’automatisation dans tous les secteurs de l’économie… (loc. 536-538)
  • Le « ticket d’entrée » pour la robotisation va être de moins en moins élevé. Et à partir d’un certain seuil, l’automatisation va devenir une déferlante. (loc. 549-550)
  • Il y a aujourd’hui une obsession de l’emploi – qui est en réalité la dénégation d’un processus tout à fait opposé, et le choc politique qui se prépare dans cette contradiction entre le discours et la réalité promet d’être terrible. (loc. 554-556)
  • Il est mal vu de dire que la redistribution par le monde industriel de pouvoir d’achat sous forme de salaires, malmenée depuis la fin des années 1970, est en passe de disparaître à cause de l’automatisation. (loc. 556-557)
  • Si le numérique peut ainsi tout envahir, c’est parce qu’il a une capacité universelle et illimitée de connexion et d’intégration de tous les automatismes. Je ne parle pas là que des automatismes industriels et technologiques : je parle des automatismes comportementaux, biologiques, psychologiques et sociologiques. (loc. 575-577)
  • Le travail de l’artiste, ce que l’on appelle son œuvre, c’est de part en part ce qui résulte de cette désautomatisation. Et ce que l’on appelle l’ouvrage dans le monde du travail est aussi le fruit de ce dépassement des automatismes issus du métier. (loc. 646-648)
  • La question est donc de savoir comment nous allons faire pour que fonctionne le système économique fondé sur l’automatisation intégrale et généralisée – dans une économie du travail ne reposant plus sur l’emploi – et où il faudra remplacer la redistribution des gains de productivité par le salaire par une redistribution fondée sur un travail contributif non salarié. (loc. 740-743)
  • La résolution d’un tel problème réside dans ce que nous appelons le revenu contributif, qui n’est pas le revenu d’existence (que nous défendons, par ailleurs), mais un revenu alloué sur le modèle des droits spécifiques au régime des intermittents du spectacle. (loc. 743-745)
  • Quant au fait qu’il y ait toujours des personnalités fragiles qui ne peuvent pas entrer dans des processus sociaux tels que nous les préconisons, cela nous conduit à poser qu’il faut dans tous les cas garantir par un revenu d’existence des conditions de subsistance élémentaires pour ceux qui ne sauraient pas faire valoir leurs droits à un revenu contributif. (loc. 798-800)
  • C’est dans les années 1980 que sont apparus les appareils photo jetables – et ce fut le début du règne hégémonique du marketing. (loc. 957-958)
  • Cependant, avec la montée en puissance des automates, qui vont déferler dans les dix ans qui viennent avec une extrême brutalité, tout cela va s’effondrer. Dès lors, qui que l’on soit, président de la République, PDG d’un grand groupe, professeur d’université, syndicaliste ou citoyen, il faut dès à présent s’atteler à ce sujet – et repenser complètement le modèle économique de nos sociétés. (loc. 976-979)
  • Il faut préserver pour demain matin, tant que faire se peut, ce qui ramène encore de la fiscalité, du pouvoir d’achat, de la circulation monétaire, et il faut protéger les emplois existants autant que possible ; mais il ne faut pas se bercer d’illusions sur le temps que cette protection pourra durer. (loc. 1039-1041)
  • Il faut débattre, mais il faut aussi et surtout à présent expérimenter, créer pour cela des zones franches, c’est-à-dire des territoires d’expérimentation et de recherche contributive, permettre de sortir du droit du travail actuel ou de la réglementation d’allocation des minima sociaux par exemple, pour créer un revenu contributif pour la jeunesse – qui est dans une situation intolérable face à la disparition structurelle de l’emploi. (loc. 1054-1057)
  • Mais nous devons créer des zones d’exception sous contrôle pour expérimenter d’autres modèles de société. Et inventer un nouvel état de droit face à l’état de fait de l’automatisation. (loc. 1059-1060)
  • La robotisation ne peut que nuire à l’emploi, et il n’est pas vrai que les emplois créés par la production des robots compenseront ceux détruits par ces mêmes robots. (loc. 1079-1080)
  • Je ne dis pas qu’il faut empêcher l’automatisation de se développer, tout au contraire, je crois, comme les ministres de l’Économie qui se succèdent en France, qu’il faut s’y engager résolument – d’autant qu’elle va se développer avec ou sans les gouvernements, que ceux-ci cherchent à en freiner ou à en accélérer l’avancée, à plus ou moins long terme. (loc. 1083-1085)
  • Qu’il faut prendre le régime des intermittents du spectacle pour modèle. Celui-ci constitue la matrice du revenu contributif en matière de droit du travail, comme le logiciel libre est notre matrice de référence en matière de droit de la propriété intellectuelle et de l’organisation du travail. (loc. 1092-1094)
  • Le revenu minimum d’existence ne suffit pas, même si nous en soutenons le principe. Il faut créer un revenu contributif qui permette aux gens de produire des externalités positives fondées sur de la valeur pratique, et engendrant en outre ce que Philippe Béraud, Franck Cormerais et Ars Industrialis appellent de la valeur sociétale. (loc. 1119-1122)
  • La société de demain sera nécessairement une société de savoir s’il est vrai que, face aux incroyables défis auxquels l’humanité est désormais confrontée, une augmentation et un partage sans précédent des savoirs et de l’intelligence collective sont tout simplement les conditions sine qua non de sa survie. (loc. 1135-1137)
  • On ne va pas donner un salaire au robot : le robot ne consomme pas plus que l’énergie dont il a besoin. C’est donc aux individus privés d’emploi par les robots qu’il faut donner un salaire. Mais puisqu’il n’y a plus ni emploi ni chômage, ce ne sera ni un salaire ni une allocation de chômage : ce sera un revenu contributif. Ce revenu contributif, c’est un revenu alloué à tout le monde sur une base qui permet de vivre décemment, de s’éduquer et de développer ce que Amartya Sen appelle des capacités, c’est-à-dire des formes de savoir, que la société a besoin de valoriser et qui est un droit « rechargeable » en fonction de l’activité de socialisation de capacités ainsi développées par les individus en direction des groupes. (loc. 1151-1156)
  • Le savoir est ce qui produit de la néguentropie, et je crois qu’à l’époque des études digitales, des spéculations « post-humanistes » et du storytelling transhumaniste (libertarien de droite et extrêmement dangereux), il faut en repenser de part en part les conditions de possibilité dans la perspective de ce que nous appréhendons, au sein de pharmakon.fr et avec le groupe Noötechnics, comme une néguanthropologie. (loc. 1246-1251)