- Un par un, le roman a découvert, à sa propre façon, par sa propre logique, les différents aspects de l’existence. (loc. 34-35)
- L’esprit du roman est l’esprit de complexité. Chaque roman dit au lecteur : « Les choses sont plus compliquées que tu ne le penses. » C’est la vérité éternelle du roman mais qui se fait de moins en moins entendre dans le vacarme des réponses simples et rapides qui précèdent la question et l’excluent. (loc. 204-206)
- L'événement décisif de cette transformation du monde en piège a sans doute été la guerre de 14, appelée (et pour la première fois dans l'Histoire) guerre mondiale. Faussement mondiale. Elle ne concernait que l’Europe, et encore pas toute l’Europe. Mais l’adjectif « mondial » exprime d’autant plus éloquemment la sensation d’horreur devant le fait que, désormais, rien de ce qui se passe sur la planète ne sera plus affaire locale, que toutes les catastrophes concernent le monde entier et que, par conséquent, nous sommes de plus en plus déterminés de l’extérieur, par les situations auxquelles personne ne peut échapper et qui, de plus en plus, nous font ressembler les uns aux autres. (loc. 282-285)
- Le personnage n’est pas une simulation d’un être vivant. C’est un être imaginaire. Un ego expérimental. (loc. 377-377)
- Le romancier n’est ni historien ni prophète : il est explorateur de l’existence. (loc. 520-521)
- Je pense aussi à ces hécatombes quotidiennes sur les routes, à cette mort qui est aussi affreuse que banale et qui ne ressemble ni au cancer ni au sida car, œuvre non pas de la nature mais de l’homme, elle est une mort quasi volontaire. Comment ne nous frappe-t-elle pas de stupeur, ne bouleverse-t-elle pas notre vie, ne nous incite-t-elle pas à d’énormes réformes ? Non, elle ne nous frappe pas de stupeur car, comme Pasenow, nous avons un pauvre sens du réel, et cette mort, dissimulée sous le masque d’une belle voiture, représente, en fait, dans la sphère surréelle des symboles, la vie ; souriante, elle se confond avec la modernité, la liberté, l’aventure, (loc. 722-727)
- Alors que la poésie ou la philosophie ne sont pas en mesure d’intégrer le roman, le roman est capable d’intégrer et la poésie et la philosophie sans perdre pour autant rien de son identité caractérisée précisément (il suffit de se souvenir de Rabelais et de Cervantes) par la tendance à embrasser d’autres genres, à absorber les savoirs philosophique et scientifique. (loc. 743-745)
- Composer un roman c’est juxtaposer différents espaces émotionnels, et que c’est là, selon moi, l’art le plus subtil d’un romancier. (loc. 1056-1057)
- Le divertissement n’exclut d’ailleurs nullement la gravité. (loc. 1125-1126)
- Une blague n’est drôle que pour ceux qui sont devant l’aquarium ; le kafkaïen, par contre, nous emmène à l’intérieur, dans les entrailles d’une blague, dans l’horrible du comique. (loc. 1213-1215)
- Le poète au service d’une autre vérité que celle qui est à découvrir (qui est éblouissement) est un faux poète. (loc. 1373-1374)
- Tous ceux qui exaltent le vacarme mass-médiatique, le sourire imbécile de la publicité, l’oubli de la nature, l’indiscrétion élevée au rang de vertu, il faut les appeler : collabos du moderne. (loc. 1432-1433)
- En nous offrant la belle illusion de la grandeur humaine, le tragique nous apporte une consolation. Le comique est plus cruel : il nous révèle brutalement l’insignifiance de tout. (loc. 1434-1435)
- Les vrais génies du comique ne sont pas ceux qui nous font rire le plus, mais ceux qui dévoilent une zone inconnue du comique. (loc. 1436-1437)
- On reconnaît une bonne traduction non pas à sa fluidité mais à toutes ces formules insolites et originales que le traducteur a eu le courage de conserver et de défendre. (loc. 1443-1444)
- La beauté d’un mot ne réside pas dans l’harmonie phonétique de ses syllabes, mais dans les associations sémantiques que sa sonorité éveille. De même qu’une note frappée au piano est accompagnée de sons harmoniques dont on ne se rend pas compte mais qui résonnent avec elle, de même chaque mot est entouré d’un cortège invisible d’autres mots qui, à peine perceptibles, corésonnent. (loc. 1470-1473)
- Européen : celui qui a la nostalgie de l’Europe. (loc. 1484-1485)
- On sort de l’enfance sans savoir ce qu’est la jeunesse, on se marie sans savoir ce que c’est que d’être marié, et même quand on entre dans la vieillesse, on ne sait pas où l’on va : les vieux sont des enfants innocents de leur vieillesse. En ce sens, la terre de l’homme est la planète de l’inexpérience. (loc. 1526-1529)
- Roman : la grande forme de la prose où l’auteur, à travers des ego expérimentaux (personnages), examine jusqu’au bout quelques thèmes de l’existence. (loc. 1714-1715)
- Trahir, c’est sortir du rang et partir dans l’inconnu. (loc. 1783-1784)
- Dans l’euphorie de leur vie uniforme, les gens ne voient plus l’uniforme qu’ils portent. (loc. 1802-1803)
- Depuis Kafka, grâce aux grands appareils qui calculent et planifient la vie, l’uniformisation du monde a avancé énormément. Mais quand un phénomène devient général, quotidien, omniprésent, on ne le distingue plus. Dans l’euphorie de leur vie uniforme, les gens ne voient plus l’uniforme qu’ils portent. (loc. 1800-1803)
- C’est seulement quand il est âgé que l’homme peut ignorer l’opinion du troupeau, l’opinion du public et de l’avenir. (loc. 1822-1823)
- Tous les vrais romanciers sont à l’écoute de cette sagesse supra-personnelle, ce qui explique que les grands romans sont toujours un peu plus intelligents que leurs auteurs. Les romanciers qui sont plus intelligents que leurs œuvres devraient changer de métier. (loc. 1844-1846)
- C’est précisément en perdant la certitude de la vérité et le consentement unanime des autres que l’homme devient individu. (loc. 1860-1861)
- Le kitsch, c’est la traduction de la bêtise des idées reçues dans le langage de la beauté et de l’émotion. Il nous arrache des larmes d’attendrissement sur nous-mêmes, sur les banalités que nous pensons et sentons. (loc. 1916-1917)