• Épicure, le premier grand théoricien du plaisir, a compris la vie bienheureuse d'une façon extrêmement sceptique : éprouve du plaisir celui qui ne souffre pas. C'est donc la souffrance qui est la notion fondamentale de l'hédonisme : on est heureux dans la mesure où on sait écarter la souffrance ; et comme les plaisirs apportent souvent plus de malheur que de bonheur, Épicure ne recommande que des plaisirs prudents et modestes. (loc. 69-72)
  • La vraie grandeur de cet art ne consiste pas dans une quelconque propagande de l'hédonisme mais dans son analyse. C'est la raison pour laquelle je tiens Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos pour l'un des plus grands romans de tous les temps. (loc. 82-84)
  • Il y a un lien secret entre la lenteur et la mémoire, entre la vitesse et l'oubli. (loc. 363-364)
  • Dans la mathématique existentielle cette expérience prend la forme de deux équations élémentaires : le degré de la lenteur est directement proportionnel à l'intensité de la mémoire ; le degré de la vitesse est directement proportionnel à l'intensité de l'oubli. (loc. 367-369)
  • Il y a la gloire d'avant l'invention de la photographie et celle d'après. Le roi tchèque Vaclav, au XIVe siècle, prenait plaisir à fréquenter les auberges de Prague et à bavarder incognito avec des gens du peuple. Il a eu le pouvoir, la gloire, la liberté. Le prince Charles d'Angleterre n'a aucun pouvoir, aucune liberté mais une immense gloire : ni dans la forêt vierge ni dans sa baignoire cachée dans un bunker au dix-septième sous-sol il ne peut échapper aux yeux qui le poursuivent et le reconnaissent. La gloire lui a dévoré toute sa liberté, et maintenant il sait : seuls les esprits totalement inconscients peuvent aujourd'hui consentir à traîner volontairement derrière eux la casserole de la célébrité. (loc. 379-385)
  • Chaque nouvelle possibilité qu'a l'existence, même celle qui est la moins probable, transforme l'existence tout entière. (loc. 391-391)
  • On pense toujours que les chances d'un homme sont plus ou moins déterminées par son apparence, par la beauté ou la laideur de son visage, par sa taille, par ses cheveux ou par leur absence. Erreur. C'est la voix qui décide de tout. Et celle de Vincent est faible et trop aiguë ; quand il commence à parler personne ne s'en aperçoit, de sorte qu'il est obligé de forcer et alors tout le monde a l'impression qu'il crie. Pontevin, par contre, parle tout à fait doucement, et sa voix basse résonne, agréable, belle, puissante, si bien que tout le monde n'écoute que lui. (loc. 661-665)
  • La façon dont on raconte l'Histoire contemporaine ressemble à un grand concert où l'on présenterait d'affilée les cent trente-huit opus de Beethoven mais en jouant seulement les huit premières mesures de chacun d'eux. Si on refaisait le même concert dans dix ans, on ne jouerait, de chaque pièce, que la seule première note, donc cent trente-huit notes pendant tout le concert, présentées comme une seule mélodie. Et dans vingt ans, toute la musique de Beethoven se résumerait en une seule très longue note aiguë qui ressemblerait à celle, infinie et très haute, qu'il a entendue le premier jour de sa surdité. (loc. 891-895)
  • Dans une illumination subite, tout son passé lui apparaît non pas comme une aventure sublime, riche en événements dramatiques et uniques, mais comme la minuscule partie d'un fatras d'événements confus qui ont traversé la planète à une vitesse empêchant de distinguer leurs traits, à tel point que Berck a peut-être eu raison de le tenir pour un Hongrois ou pour un Polonais parce que, peut-être, il est vraiment hongrois, polonais ou peut-être turc, russe ou même un enfant mourant en Somalie. Quand les choses se passent trop vite personne ne peut être sûr de rien, de rien du tout, même pas de soi-même. (loc. 1292-1297)