• Et puis, n’est-il pas diablement aisé, en fait, de se prendre pour un grand homme quand on ne soupçonne pas le moins du monde qu’un Rembrandt, un Beethoven, un Dante ou un Napoléon ont jamais existé ? (p. 13)
  • Les monomaniaques de tout poil, les gens qui sont possédés par une seule idée m’ont toujours spécialement intrigué, car plus un esprit se limite, plus il touche par ailleurs à l’infini. (p. 14)
  • Assurément je connaissais par expérience le mystérieux attrait de ce « jeu royal », le seul entre tous les jeux inventés par les hommes, qui échappe souverainement à la tyrannie du hasard, le seul où l’on ne doive sa victoire qu’à son intelligence ou plutôt à une certaine forme d’intelligence. (p. 15)
  • On ne nous faisait rien – on nous laissait seulement en face du néant, car il est notoire qu’aucune chose au monde n’oppresse davantage l’âme humaine. En créant autour de chacun de nous un vide complet, en nous confinant dans une chambre hermétiquement fermée au monde extérieur, on usait d’un moyen de pression qui devait nous desserrer les lèvres, de l’intérieur, plus sûrement que les coups et le froid. (p. 42)
  • Mais, si dépourvues de matière qu’elles paraissent, les pensées aussi ont besoin d’un point d’appui, faute de quoi elles se mettent à tourner sur elles-mêmes dans une ronde folle. (p. 43)
  • Autour de moi, jamais rien d’autre que la table, l’armoire, le lit, le papier peint, la fenêtre. Aucune distraction, pas de livre, pas de journal, pas d’autre visage que le mien, pas de crayon qui m’eût permis de prendre des notes, pas une allumette pour jouer, rien, rien, rien. Oui, il fallait un génie diabolique, un tueur d’âme pour inventer ce système de la chambre d’hôtel. (p. 45)
  • Je vécus quatre mois dans ces conditions indescriptibles. Quatre mois, c’est vite écrit et c’est vite dit. Un quart de seconde suffit à articuler ces trois syllabes : quatre mois. Quelques caractères suffisent à les noter. Mais comment peindre, comment exprimer, fût-ce pour soi-même, une vie qui s’écoule hors de l’espace et du temps ? (p. 47)
  • Le jeu d’échecs possède cette remarquable propriété de ne pas fatiguer l’esprit et d’augmenter bien plutôt sa souplesse et sa vivacité. (p. 55)
  • Vouloir jouer aux échecs contre soi-même, est donc aussi paradoxal que vouloir marcher sur son ombre. (p. 58)